Le couloir rose
Sainte Anne
Lucie
Le mur mûr
Bleu à l'âme
Porte de service
La chambre
La pendue
Solitude
série composée de 25 dyptiques, 2004-2005
réalisées au 24x36 argentique, sans post-production numérique.

Estelle Lagarde photographie des lieux qui sont à l'état d’abandon et sont destinés à une démolition programmée.
« Femmes Intérieures ». Ce titre paradoxal évoque celle qui investit sa maison, et qui, par de petits gestes simples de la vie quotidienne, embellit son intérieur, le rend si accueillant. Contraste saisissant avec ce qui est présenté : la femme y est une ombre fuyante, un fantôme de ce que fut le lieu lorsqu’il était encore habité, ou ce qu’il aurait pu être, son intimité potentielle, s’il n’avait pas été abandonné. Une présence énigmatique toute d’intériorité.

La photographie en couleur du diptyque est au contraire plus précise. Les espaces sont vides, délabrés, inhospitaliers, inhabités. Le clair-obscur révèle les traces d’usure, dues au temps, sur les murs, sur les sols et les plafonds... Le passage du temps. Et aussi le passage de ceux qui habitaient là. L'usure due aux êtres. Des intérieurs plutôt ordinaires qui sont de ceux que l’on côtoie, ni trop somptueux, parfois modestes. Ils sont le témoignage d’une époque révolue mais familière. Ces murs, hantés de l’âme qu’ils ont perdue, ont été le théâtre et le témoin muet de la vie intime de ceux qui vivaient là.

Estelle Lagarde est l’archéologue de l’intimité ordinaire. Elle met au jour des signes et des vestiges de ce qui autrefois fut un intérieur accueillant. C’est par la représentation d’un lieu qui en est totalement dépourvu, qu’Estelle Lagarde décrit l’intimité ordinaire de la vie de tous les jours. Les traces de cette intimité disparue sont devenues incongrues dans ces univers silencieux, mornes, délaissés. Une présence invisible, dans les photographies d’Estelle Lagarde, exprime de façon poignante, l’absence, l’isolement. Présence et absence, loin de s’opposer, sont en étroite indissociation.

Le travail d’Estelle Lagarde prend ainsi toute sa substance. La subtilité des clairs-obscurs témoigne de l’impermanence des choses, de leur fragilité face au temps qui passe, notre intérieur, qui nous parait si solide, si rassurant, n’échappe, pas plus que le reste, à l’usure du temps.

Bénédicte Kibler-Chapy

Estelle Lagarde photographs places that are in a state of abandonment and are destined for scheduled demolition.
« Inner Women ». This paradoxical title evokes the woman who invests her home, and who, through the small, simple gestures of daily life, embellishes her interior, making it so welcoming. In stark contrast to what is presented here, the woman is an elusive shadow, a phantom of what the place was when it was still inhabited, or what it could have been, its potential intimacy, had it not been abandoned. An enigmatic, interior presence.

The color photographs in the diptych, on the other hand, are more precise. Spaces are empty, dilapidated, inhospitable, uninhabited. The chiaroscuro reveals the wear and tear of time on walls, floors and ceilings... The passage of time. And also the passage of those who lived there. The wear and tear of people. Rather ordinary interiors, like the ones we come across, not too sumptuous, sometimes modest. They bear witness to a bygone but familiar era. These walls, haunted by the soul they have lost, were the theater and silent witness to the intimate lives of those who lived there.

Estelle Lagarde is an archaeologist of ordinary intimacy. She unearths signs and vestiges of what was once a welcoming interior. By depicting a place that is totally devoid of them, Estelle Lagarde describes the ordinary intimacy of everyday life. Traces of this vanished intimacy have become incongruous in these silent, dreary, neglected worlds. In Estelle Lagarde's photographs, an invisible presence poignantly expresses absence and isolation. Presence and absence, far from being in opposition, are in close indissociation.

This is where Estelle Lagarde's work really comes into its own. The subtlety of the chiaroscuro reflects the impermanence of things, their fragility in the face of passing time. Our interior, which seems so solid, so reassuring, cannot escape the wear and tear of time any more than the rest.

Bénédicte Kibler-Chapy